LE JOURNAL DU CONSERVATEUR

 

SommaireRESTAURATION DU « SQUELETTE » DE LIGIER RICHIER À BAR-LE-DUC

Entre 1998 et 2003 a été entreprise une restauration complète du « Squelette » de Ligier RICHIER et du retable qui le supporte.


Cette restauration s’est déroulée en plusieurs phases :

1998 : étude documentaire et historique commandée par la Direction régionale des Affaires culturelles de Lorraine.
2001 : bilan sanitaire détaillé.
2002-2003 : dépose au musée de Bar, transformé pour la circonstance en atelier-laboratoire, puis la restauration proprement dite et enfin la repose dans l’église Saint-Étienne.


Documentation historique

L’étude du GRAHAL (1) a rassemblé toute la documentation possible sur l’histoire de la statue : documents d’archives remontant pour les plus anciens à 1544-1548 (archives départementales de la Meuse).

On connaît les origines de cette statue mortuaire érigée après la mort violente de René de Chalon, prince d’orange, époux d’Anne de Lorraine, lors du siège de Saint-Dizier en 1544. Avant d’être rapatrié à Breda aux Pays-Bas, le corps de l’illustre défunt fut éviscéré. Le cœur et les entrailles furent inhumés à Bar-le-Duc dans l’église collégiale Saint-Maxe du château de Bar et des ducs de Lorraine. Un monument fut élevé peu après (certainement avant 1557, date de parution d’un poème de Louis des Mazures faisant l’éloge de la sculpture) représentant un squelette debout, le bras gauche levé, tenant un cœur dans sa main. Cette sculpture est attribuée à Ligier RICHIER bien qu’aucune archive d’époque ne le cite indubitablement.

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Le "Squelette" restauré
Le "Squelette" après restauration

Epitaphe du cœur de René de Chalon, Prince d’Oranges

Le cœur d’un Prince ha repos en ce lieu
O viateur, qui d’amour souvereine,
En son vivant, ayma le Signeur Dieu :
Charles Cesar, et Anne de Lorreine,
A Dieu rendit l’ame pure et sereine,
Qui de sa main le fit et composa.
Le cœur surpris de mortelle avanture,
En ce lieu propre ou Anne il espousa,
Pour son confort est mis en sepulture.
(Louis des Mazures, 1557)

Il faut attendre ensuite le XVIIIe siècle pour voir apparaître des plans de la Chapelle castrale Saint-Maxe et différents textes évoquant le monument princier, dont celui de Dom Calmet en 1751 (2), les textes mentionnant le transfert des ossements en 1790 dans l’église Saint-Étienne et l’érection d’un monument composé de divers éléments provenant de la chapelle des princes du château de Bar. Sont mentionnés ensuite les inventaires et les récits des exactions des révolutionnaires de 1793. Suit un état des lieux ainsi qu’une description des travaux menés en 1810 à l’initiative du curé de Saint-Étienne, Claude ROLLET. Divers courriers ou rapports se multiplient au XIXe siècle. En 1894 on procède à un moulage du Squelette destiné au musée de sculpture du Trocadéro. En 1898 la statue est classée monument historique (arrêté de classement). Diverses études historiques sont publiées à cette époque, notamment la thèse de Paul Denis en 1906.

Protection du monument en 1918Protection du monument en 1918
Protection du monument dans
l'église St-Etienne de Bar-le-Duc (1918)

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(clichés MH)
Evacuation de la statue (1917)
En gare de Bar-le-Duc (1917)
Le Squelette est évacué à Paris

En 1917, en plein conflit, le Squelette est déposé dans les sous-sols du Panthéon à Paris jusqu’à la fin de la guerre. Son retour en 1920 ne se fait pas sans mal (nombreux courriers administratifs, rapports parfois explosifs à propos d’un nouveau moulage en 1922). Après 1950 on assiste à des échanges de courriers relatifs à la conservation de l’œuvre qui conduisent à la restauration de 1969 par Maxime Chiquet d’Alliancelles (51). En 1993, le retable et le tombeau sont classés à leur tour parmi les Monuments historiques.

La question de la sécurité antivol ou anti-vandalisme se pose alors, à la suite de la dégradation volontaire par un inconnu de la statue de la Vierge du XIVe s. dite « Notre-Dame du Guet  » dans la même église. Une étude est menée conjointement par l’Inspection générale des Monuments historiques et l’Architecte en chef des Monuments historiques pour protéger la statue des dégradations ou des vols. Une vitre provisoire anti-projectiles est installée, mais celle-ci a l’inconvénient de créer un micro climat préjudiciable notamment à la peinture murale entre les colonnes.

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(clichés GRAHAL, 1998)
Plan de la chapelle St-Maxe (1781)
Emplacement du Squelette
sur le plan de la chapelle royale
de St Maxe, 1781

Pour compléter cette documentation archivistique sont joints plusieurs plans, croquis et photographies : plan des bâtiments du chapitre de la Collégiale Saint-Maxe avec emplacement du mausolée du prince d’Orange (1754, Arch. Meuse), un plan topographique de la collégiale (1781, Arch. Meuse), des estampes et des dessins du XIXe s. (médiathèque de Bar-le-Duc). Les photos les plus anciennes remontent aux années 1860. Quelques photos intéressantes montrent la protection de la statue par des sacs de sable en 1917 et son transfert à Paris (caisse embarquée dans un wagon à la gare de Bar-le-Duc).

Dans cet important dossier documentaire se trouvent aussi les détails des travaux (devis ou rapports) effectués à la fin du XVIIIe siècle ainsi qu’aux XIXe et XXe siècles. Ils sont indispensables pour une meilleure connaissance de l’œuvre et aident le restaurateur et l’Administration dans le choix souvent difficile des tâches à définir. Les archives des Monuments historiques regroupant les interventions de 1790, de 1810, de 1917 et 1922 (moulages) et de 1969 sont ainsi du plus grand intérêt.
Le restaurateur Jean DELIVRÉ (3) s’en est servi en 2001 pour faire ses propositions et établir son plan de travail.


Une restauration très rigoureuse et délicate (4)

La deuxième phase indispensable à la restauration de la statue fut une description et un constat d’état de l’œuvre les plus précis possibles.

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(cliché F. JANVIER)
Les éléments de la statue
Les éléments composant
la sculpture

La statue est en pierre calcaire (sauf la main gauche en plâtre) au grain très fin, dite « pierre de Saint-Mihiel », ou plus probablement de la pierre de Tonnerre, permettant une grande finesse des détails. Elle se compose de trois parties : la tête et le torse, le bras gauche, les jambes et le bassin. Les éléments s’emboîtent les uns dans les autres sans système extérieur. Un goujon en fer muni d’un anneau fixe simplement le bassin (et donc toute la statue) au mur.

Le soubassement de la maçonnerie de l’édifice est gorgé d’eau en hiver. Les remontées d’eau sont totalement nuisibles à la peinture du mur (manteau d’hermine réalisé par le peintre barisien Varembel en 1790). Mais la statue étant isolée par son support sous les pieds, l’humidité ne remonte pas au-dessus.

Le restaurateur constate des épaufrures et quelques éclats autour de la jonction de l’aine, à l’intérieur du genou, des graffitis, des joints au plâtre mal effectués, des fissures, surtout une fissure assez profonde au niveau du bassin en arrière près du goujon rouillé maintenant la sculpture debout. Une restauration s’avère donc indispensable, la statue ne pouvant rester debout que par l’intermédiaire de ce goujon.

La restauration fut donc programmée. Le dossier de financement ayant été monté (5), la statue pouvait être descendue.

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DéposeDépose Dépose
Dépose des éléments de la statue et brancardage

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(cliché J. DELIVRÉ)
Installation au musée de Bar
Présentation au musée de Bar

La dépose fut effectuée et la statue portée au musée de Bar sur un brancard conçu à cet effet. Une salle spéciale a été réservée pour la restauration, permettant au public d’en suivre librement toutes les différentes étapes.

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(cliché J. DELIVRÉ)
Auscultation
Auscultation

Après une auscultation par radar géologique effectuée sur place par un ingénieur du LERM (Laboratoire d’Études et de Recherche sur les Matériaux), pour vérifier la localisation exacte des éléments métalliques, la restauration proprement dite pouvait commencer.

(cliché F. JANVIER)
Nettoyage
Nettoyage en profondeur
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Réparation des fissuresRéparation des anciens joints
Réparation des fissures et des anciens joints

Toute la surface a été nettoyée délicatement au coton tige légèrement humidifié, centimètre par centimètre. L’intérieur du torse, particulièrement « dégoûtant » - selon les termes du restaurateur – a été totalement désinfecté et purifié. Tous les joints de cassure ont été repris. Les anciens bouchages débordants ont été dégagés et les fissures réparées à l’aide d’un mortier très fin composé de poudre de pierre de différentes couleurs de manière à s’approcher du « ton environnant de la pierre patinée ».

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(cliché J. DELIVRÉ)
Extraction des ferrures
Extraction de l'ancien
goujon dont la rouile
a brisé la pierre


Quant aux pitons en fer (bassin et mur), il ont été extraits et remplacés par des pitons en acier inoxydable scellés au mortier époxy-acrylate. Les risques d’oxydation ont ainsi disparu.


 

 

Retable restauré

L’autel en marbre a été entièrement démonté afin de procéder à un assainissement du mur arrière.

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(cliché J. DELIVRÉ)
Restauration de la peinture
La restauration du manteau
découvre un ancien faux-marbre

Une cire microcristalline a ensuite été posée sur la surface décrassée pour permettre un léger lustrage. Le même procédé a été appliqué aux colonnes latérales en marbre noir.

La peinture murale de 1790 représentant un manteau mortuaire a été également restaurée. Cette restauration exécutée par Mme Françoise Joseph a permis non seulement de rafraîchir les couleurs mais aussi de mettre au jour sous la peinture visible l’existence d’un décor aux quatre coins de la peinture de type faux-marbre.


En conclusion

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(cliché F. JANVIER)
Le "Squelette" restauré
Le "Squelette" restauré

Cette restauration exemplaire augmente la liste des restaurations des œuvres de Ligier Richier ou attribuées à ce dernier : restauration en 1993-94 du retable d’Hattonchâtel (6), restauration en 1998 de la mise au tombeau de Clermont (7) avec la sainte femme, restauration en 1999 du calvaire de l’église Saint-Étienne (8) et du Christ en croix de l’église Notre-Dame de Bar-le-Duc (9) dans cette même ville, de la Pietà d’Étain en 1999 (10), de la Pâmoison de l’abbatiale Saint-Michel en 2004 et de la restauration en cours du grand Sépulcre de Saint-Mihiel (11).

Ainsi les sculptures du XVIe siècle les plus célèbres du département de la Meuse auront retrouvé en l’espace d’une dizaine d’années, sinon leur fraîcheur originelle, du moins une lisibilité remarquable.

 

François JANVIER
Conservateur des Antiquités et Objets d’Art

 

Notes
(1) Groupe de recherche Art , Histoire, Architecture et Littérature, société privée à Paris (www.grahal.fr)
(2) Dom CALMET, Nancy, 1751, Bibliothèque lorraine ou histoire des hommes illustres qui ont fleuri en lorraine, dans les trois Évêchés, dans l’Archevêché de Trèves, dans le duché de Luxembourg
(3) Jean DELIVRÉ, restaurateur du patrimoine à Fontenay-sous-Bois, tailleur de pierre, diplômé de l’INP (Institut National du Patrimoine - département restaurateurs, http://www.culture.gouv.fr/culture/conservation/fr/laborato/ifroa.htm) et professeur à cet institut, licencié en chimie, ancien membre de la Commission supérieure des Monuments historiques, expert à l’Étranger pour les musées nationaux et les Monuments historiques.
(4) Les éléments techniques sont extraits des rapports de Monsieur Jean Delivré, restaurateur de sculptures
(5) Coût global (documentation, expertise, dépose, restauration, repose) : 50 270 euros
(6) Restauration par Aubert GÉRARD et l’équipe du CRRCOA de Vesoul
(7) Restauration par Olivier ROLLAND et son équipe à Tours
(8) Restauration par Aubert GÉRARD. Voir le site Internet du CRRCOA : http://crrcoa.free.fr/menu.html (voir : Conservation/restauration – sculpture – dossiers : « le bon larron, XVIe s. »)
(9) Restauration par Aubert GÉRARD
(10) Restauration par Geneviève RAGER, Dominique FAUNIÈRES, et Lucie BOURDET de Paris
(11) Restauration par Benoît LAFFAY de Lyon et Olivier ROLLAND de Tours

 

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Date de mise à jour : 2 septembre 2004

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